• Le Gospel, musique et rituel

     

    Le Gospel, musique et rituel

     

    Au musée des Confluences de Lyon, de nombreux objets sont liés aux rituels. Peut-on les exposer dans un musée ? Question de restitution des oeuvres par les anciens colonisateurs qui se pose aujourd'hui ? A quel moment un objet devient-il une oeuvre d'art ? Faut-il nécessairement que le matériau soit précieux et cher ? 

    L'oeuvre sonore issu des sociétés extra-occidentales de culture orale est encore plus difficile à mettre au musée. Si on peut conserver des instruments (cf Musée du Trocadéro qui ouvre ses portes dans l'entre-deux guerres), on peut aujourd'hui enregistrer et filmer. Les premiers ethnomusicologues partaient avec leurs portées retranscrire tant bien que mal les chants et musiques extra-occidentales. 

    Exemple,  le compositeur Bartok partant enregistrer et retranscrire les musiques roumaines au début du XXè siècle.

     Composition de Bartok inspirée de ses recherches ethnomusicologiques

    Le rituel peut être sacré (rites religieux imposés aux pratiquants d'une religion)

    Le rituel peut être profane (gestes ou paroles habituels, répétitifs, conventionnels)

     

    La question du lien entre la musique et le rituel va se poser.  

    A partir de l'écoute d'une oeuvre hommage (un peu comme les danses romaines de Bartok), plongée dans les racines du Gospel, genre musical afro-américain à l'origine du blues, jazz et des musiques issues des mélanges afro-américains jusqu'au Hip hop aujourd'hui.

    Corpus d'oeuvres sacrées : Musique religieuse afro-américaine rituelle à la source des musiques populaires actuelles (Negro-spiritual -depuis le XIXès avec des textes issus de l'Ancien Testament- puis Gospel (depuis les années 1920 avec des textes issus surtout des Evangiles-) : titres principaux : Homesick blues, Thierry Machuel, Go down Moses...

     

     

     

    Une oeuvre hommage 

        Homesick blues, Dark like me (fresque chorale de Thierry Machuel) en hommage à la condition des noirs aux USA au début du XXès. 

     

     

     

    1.Les Origines historiques du rituel du Gospel 

    Esclavage des Africains en Amérique du Sud Est 

    1619 : Premiers esclaves noirs débarqués en Virginie après d'inhumaines traversées de l'Atlantique pour travailler dans les champs de coton

    au milieu du XIXès. : "évangélisation" forcée des communautés noires par le biais du rituel liturgique 

    une "église parallèle" va progressivement se développer mettant en avant la pratique des Negro-spiritual : les nouveaux convertis réinventent la mélodie liturgique "européenne" avec leur tradition musicale africaine. Ils insufflent leur énergie vocale et corporelle aux puissantes harmonies occidentales. Ils chantent avec ou sans instrument (harmonium) en utilisant de nombreux modes vocaux d'expression (hot intonation, ...) et donnent des "coups de hanches" à la rythmique "plate et carrée" occidentale en accentuant les temps faibles : 2 et 4. 

    Exemple évocateur de la puissance inspiratrice du Negro-spiritual jusqu'à aujourd'hui : Interprétation occidentale avec un arrangement du compositeur Michael Tippett pour la Philharmonie de Berlin en 2014. Cet arrangement met en valeur la puissance harmonique :

     

     

    Le 7 février 1958, le Negro-spiritual est enregistré à New York par Louis Armstrong avec le Sy Oliver's Orchestra.

     

    Après la fin de la Guerre de Sécession (1865) et l'élargissement de l'abolition de l'esclavage aux Etats Unis, les "spirituals" sont reconnus à leur juste valeur et dès 1870 une Chorale de Nashville (Tennessee) les met à son programme. Les Negro Spirituals sortent alors du lieu sacré de l'église. 

    "Swing low, sweet chariot" daterait de cette époque, 1862. il s'agit du negro spiritual le plus connu. Il aurait été composé par Wallace et Minerva Willis, des esclaves affranchis qui vivaient sur d'anciens territoires indiens. Le texte ferait allusion à une migration forcée en chariot le long de la red river (affluent du Mississippi). La comparaison se fait alors avec le prophète Elie gagnant le paradis à bord d'un chariot à proximité du Jourdain. 

     

    Swing Low Sweet Chariot - Fisk Jubilee Singers (1909)

     

    L' université historiquement noire de Nashville, au Tennessee , a été fondée par l' American Missionary Association et des partisans locaux après la fin de la guerre civile américaine pour éduquer les affranchis et autres jeunes Afro-Américains . L'université de cinq ans était confrontée à de graves difficultés financières. Pour éviter la faillite et la fermeture, le trésorier et directeur musical de Fisk, George L. White, un missionnaire du Nord blanc dédié à la musique et prouvant les Afro-Américains étaient les égaux intellectuels des blancs, [2]rassemblé un chœur d'étudiants de neuf membres, composé de quatre hommes noirs (Isaac Dickerson, Ben Holmes, Greene Evans, Thomas Rutling) et cinq femmes noires (Ella Sheppard, Maggie L. Porter , Minnie Tate, Jennie Jackson, Eliza Walker) pour aller en tournée pour gagner de l'argent pour l'université 

     

     

    2.L'appropriation des textes sacrés dans le Negro-spiritual : la lutte  pour la liberté et contre le racisme

    Les thématiques des premiers negro spirituals prennent leur source dans les Ecritures Saintes et en particulier dans les Episodes de l'Ancien Testament (Adam et Eve, Noé, Moïse, l'Exode...). En se référant à l'esclavage des Hébreux par les Egyptiens, les Negro Spirituals retrouvent dans la signification du texte anglais la même soif de liberté et d'espoir. 

     

    (Extrait de Go down Moses)

    When Israel was in Egypt land...

    Let My People Go!

     

    Oppressed so hard they could not stand...

     

     

    Let My People Go! (...)

    (Exode 5:1 et 8:1 : « L'Éternel dit à Moïse : Va vers Pharaon, et tu lui diras : Ainsi parle l'Éternel : Laisse aller mon peuple, afin qu'il me serve. »).

     

     Plus largement, le Gospel invoque la liberté et le droit de tous. Ce n'est pas un hasard si Joan Baez fera retentir le gospel pour la liberté "Oh freedom" lors de la manifestation pour les droits civiques des noirs américains à Washington en 1963 aux côtés de Martin Luther King.

     

    Ici la version des Golden Gospel Singers  

    avec la répétition de la même phrase à chaque strophe

    "But befor I'd be a slave, I'd be buried in my grave, and go home to my lord and be free"

     

    La Question du rituel musical

    The problem we all live with

    Norman Rockwell 1964

     

    3.Le Gospel : Une activité artistique et spirituelle collective

    Au contraire du blues qui se chante seul avec sa guitare et qui véhicule l'image du solitaire racontant la déréliction du monde réel et ses difficultés bien païennes, le Gospel se pratique à plusieurs, dans un esprit de communautarisme et met en avant les valeurs spirituelles d'une foi tournée vers la lumière. 

    A l'époque de la montée en puissance du blues et du gospel qui donneront naissance au jazz, au tournant du XXè siècle, la communauté noire américaine enchaîne les concerts de blues la semaine avec les offices religieux chantés le week end. 

    On assiste à la naissance de nouvelles formations comme celle du quartet vocal masculin qui prend exemple sur les bases harmoniques de la musique savante en ajoutant les formules rythmiques accentuées et décalées. 

    Un lieu sacré : Une église

    Le principe du call and response à l'image du prêcheur qui s'adresse à ses fidèles 

     

    Extrait des Blues Brothers avec James Brown

    entre le sermon et la battle ?

     

     

     

    4.Rites sacrés et rites païens  : transe et art de l'improvisation /

    https://journals.openedition.org/lhomme/24961?file=1

    La danse du diable et du bon dieu Le blues, le gospel et les Églises spirituelles Erwan Dianteill,  

    (...)En effet, il existe aux États-Unis un type d’églises noires qui ne connaît pas ou peu cette barrière entre genres musicaux, et ce dès leurs fondations dans les années 1920. Il s’agit des Églises dites « spirituelles » (Spiritual Church) dont les caractéristiques sociales, les croyances et les rituels sont proches des religions afrocaribéennes. Les oppositions binaires (bien/mal, homme/femme, religion/magie, Dieu/Diable, homme blanc/homme noir) des églises protestantes noires américaines y sont peu opératoires, même si les Églises spirituelles subissent la pression de la religion dominante qui tend à imposer ses canons. Les rares auteurs qui ont étudié ce mouvement religieux (Baer 1984, Jacobs & Kaslow 1991) ont insisté sur le syncrétisme qui le caractérise : on peut y déceler des influences catholiques, pentecôtistes, spirites et vaudou.(...)

    (...)Comme les religions afro-caribéennes, les Églises spirituelles ne sont pas organisées sur la base des partitions catégorielles qui structurent l’éthique protestante, y compris dans sa version noire américaine25. En premier lieu, la distinction entre bien et mal y est faiblement opératoire. Alors que le Décalogue est au cœur du discours baptiste ou méthodiste, les sermons que l’on entend dans les Églises spirituelles sont d’une nature assez différente. Ils mettent surtout l’accent sur la force de l’homme lorsqu’il est accompagné par Dieu. L’un des textes bibliques le plus fréquemment entendu est le XXIIIe psaume de David. (...)

    (...)la partition du monde spirituel entre entités « bonnes » et « mauvaises » ne recouvre pas la pratique religieuse réelle des croyants, en particulier dans le domaine musical et chorégraphique. Alors que les Églises chrétiennes, pentecôtistes notamment, pratiquent de façon séparée le baptême dans l’Esprit Saint et les rituels d’exorcisme, le contact physique avec le sacré lors du service religieux n’est pas éthicisé dans les Églises spirituelles. C’est ce que j’essaierai de montrer en illustrant mon propos par des exemples et des images extraites d’un documentaire filmé à La Nouvelle-Orléans et à Chicago en 2002, intitulé Roll with the Spirit (Dianteill 2004) (...)

    L'immobile et le mobile

     

     

     

     

     Bibliographie structurée par thèmes et sources

     

    Gospel : 

    Arts et musiques dans l'HISTOIRE XXè et XXIè siècles, Michel Asselineau, J.P. Caens et Bernard Fort, Editions Lugdivine, Lyon, 2013