• Le titre «la Barque solaire» traduit la quête de lumière et fait allusion à la mythologie égyptienne. Chaque jour le Dieu du Soleil (Râ ou Rê) se rend d'Est en Ouest et chemine sur la voûte céleste jusqu'au Royaume des Morts , la nuit.

     

     

     

     

     

     

    Introduction

    L'artiste rend le monde intelligible pour qui cherche à le comprendre. Son rapport à la spiritualité est-il essentiel pour donner de la profondeur à son art, donner du corps et donner de l'âme ?

    Le sens du religieux n'est plus forcément visible en Occident mais il reste omniprésent. Depuis le XVIIIè s., depuis la Révolution française et le poème de Jean Paul sur la mort de Dieu*, le «je» de l'artiste existe jusqu'à l'excès mais erre toujours à la recherche d'une vérité.  

     

    Les artistes occidentaux vont se détacher des dogmes de la liturgie chrétienne et partir découvrir d'autres cultures et philosophies. La question d'un autre monde liée à la question de la mort se pose à travers de nouvelles expériences, des explosions du langage artistique ou des chemins tracés jusqu'à l'extrême même s'ils mènent droit dans un mur (tel le sérialisme intégrale dans les années 1950 en musique : chaque domaine musical est stigmatisé sous forme de motif et apparaît de manière unilatéralement géométrique et figée).

    En tant qu'art invisible, la musique accède particulièrement voire naturellement à l'intuition de l'infini et de l'absolu. Elle est comme une eau invisible sur-laquelle on avance

    Nouveau rapport au monde au XXès.

    XXè s. Nouvelles pratiques, nouveaux matériaux, les artistes deviennent de vrais aventuriers, de vrais chercheurs en art. Ils expérimentent notamment après les deux chocs mondiaux : cf dadaïsme, surréalisme (le monde à l'envers), art abstrait, école de Vienne en peinture et années 50 abstraction lyrique en peinture 1955 Hans Hartung Lyon MBA, sérialisme intégrale puis années soixante Performances,

     

    La barque solaire : une musique en lien avec le sacré ?

    Escaich comme Messiaen son modèle, apparait tel un compositeur «en mission» ( marqués par la liturgie qui imprègne le métier d'organiste, pédagogue et compositeur). Dans la tradition française de l'écriture orchestrale magnifiée par Debussy, il ne se proclame pas avant gardiste mais n'oublie pas pour autant les avancées stylistiques opérées par ses prédécesseurs, comme un peintre aujourd'hui peut utiliser un medium traditionnel, la peinture à l'huile, mais en composant avec un style qui lui est propre (Peter Doig, Rothko) et en avantageant la profondeur et l'espace mystique dans ses oeuvres. Autant il apprécie les couleurs sombres des ténèbres, autant sa "barque solaire" va se composer de couleurs chatoyantes et de gestes fantasques propres à l'improvisateur qu'il est. 

     

    Présentation générale de l'oeuvre

    LA BARQUE SOLAIRE

    Poème symphonique pour orgue et orchestre, 2008, env.15'

     

    La Barque solaire Introduction mouvementée (bis 2'52)

     

    Thierry Escaich : Artiste de son temps qui pratique autant les musiques populaires (traditionnelles) que savantes et cinéphile, mais très lié au passé de par sa formation d'organiste. Accordéoniste au départ puis organiste, improvisateur et compositeur né en 1965 à Nogent sur Marne / études musicales sur Paris / en résidence à l'Orchestre national de Lyon (2007-2010) / a crée un opéra à Lyon : Claude sur un livret de Badinter (l'avocat qui a permis l'arrêt de la peine de mort en France).

    La dimension spirituelle est lisible dans la plupart des titres de ses oeuvres (allusion à la liturgie catholique). Dans la tradition des compositeurs organistes tels Duruflé ou Messiaen, il se démarque par une vision plutôt pessimiste du monde. Cela s'entend dans son écriture musicale

     

    Orchestre

    Célesta

    Harpe

     

    CD enregistré en direct à l'Auditorium Maurice Ravel de Lyon en avril 2009, Thierry Escaich à l'orgue et Jun Märkl à la direction

     

    Analyse de l'oeuvre musicale

     

    Le titre «la Barque solaire» traduit la quête de lumière et fait allusion à la mythologie égyptienne. Chaque jour le Dieu du Soleil (Râ ou Rê) se rend d'Est en Ouest et chemine sur la voûte céleste jusqu'au Royaume des Morts , la nuit.

     

    La dimension spirituelle n'est pas spécifiquement chrétienne mais s'ouvre sur d'autres cultures. C'est un hommage à l'intérêt que portait le compositeur Messiaen à l'Orient (Inde : étude livresque des rythmes et des modes indous (et Japon de manière plus directe), compositeur phare pour la génération d'après deuxième guerre mondiale à la fois croyant et idéaliste et surtout très dogmatique. Une figure paternelle qui rassure puis qu'il faut dépasser. (cf Technique de mon langage musical 1944).

     

    La Barque solaire est en effet une commande de l'orchestre du Konzerthaus de Berlin (l'un des 9 orchestres berlinois qui compte 13000 abonnés et donne une 100aine de concerts par an) pour rendre hommage à l'anniversaire de naissance de Olivier Messiaen (1908-1992), «maître à écouter» de Escaich.

     

    (cf 17000 abonnés en février 2017 à l'ONL de Lyon, chiffre record)

     

     

     

    Une palette orchestrale en hommage à Messiaen (Célesta, percussions...)

     

    Présentation du célesta, instrument céleste

     

    cf Turangalîla symphonie, 1946-1948

    Turangalila Symphonie, Messiaen  / Orchestre, piano et ondes Martenot

     

    (Traduction littérale = chanson d'amour, hymne de joie, mouvement, rythme, vie et mort»)

     

    symphonie concertante (le piano et les ondes Martenot comme solistes à comparer avec l'orgue ici)

     

    Orchestre : Violons, altos, violoncelles, contrebasses

     

    3 flûtes (dont piccolo et flûte grave en Sol), 3 hautbois, 3 clarinettes dont une clarinette basse, 3 bassons dont un contrebasson

     

    4 cors, 3 trompettes, 3 trombones, Tuba

     

    3 Percussionnistes : 2 Timbales, 4 cymbale de hauteur différente, cloches tubulaires, 4 Tam Tam, Triangle, Fouet, Vibraphone (avec archet), Marimba, Xylophone, 6 wood-blocks

     

    Célesta

     

    Harpe 

     

     

    Le temps de la barque solaire : l'exploration de la non linéarité du temps

    Un temps fragmenté

    Si le temps est strié dès l'Introduction entre le jeu des percussions graves et les halos résonnants aux vents dans l'aigu, aucun marqueur de pulsation ne vient rassurer l'auditeur. Il entre dans un monde où aucune marche régulière ne sera installée, à l'échelle humaine. Le doute, l'incertitude se glisseront en motifs rythmiques toujours fuyants, comme une eau troublée en permanence.

     

    Pourtant on reconnaît le geste introductif qui ouvre le poème symphonique de Strauss «Ainsi parlait Zarathoustra» / cf Kubrick 2001 Odyssée de l'espace 

     

    2001 Odyssée de l'espace, Stanley Kubrick, 1968

    Musique de Richard Strauss/ Ainsi parlait Zarathoustra, fin XIXè s.

     

    Les explosions stylistiques du XXès. sont passées par là. Ainsi Stockausen fragmente le temps dans MOMENTE par exemple. Il fragmente le discours musical jusqu'à l'extrême. Il en profite pour casser le rituel des applaudissements et l'utiliser dans la composition-même avec des accoups, des accents, des coupures, visibles dans sa direction très énergique. 

    Le texte parlé-rythmé par la soliste est extrait du Cantique des Cantiques, texte particulièrement coloré et jouissif de la Bible. (voir extrait à 2')

    Momente, 1966, Stockhausen

     

    cf Cubisme qui déconstruit, défragmente l'espace cf Delaunay/ (expo los modernos ?) Kandinsky

    1922 Ursonate Schwitters

    Cf manifeste futuriste 1909

    L’onomatopee / explosion de la langue

     

    pp 85 6 7 JY Bosseur

     

    Le temps suspendu 

    Temps plat, éternel dans la musique répétitive.

    Mvt incessant mais constant

     

    cf quatuor pour la fin du temps ?  Rothko ? Profondeur, lenteur du regard, de l'oreille, du geste, strates de couleurs qui s'enchaînent, se succèdent ou s'emboîtent, technique du glacis, accords complexes 

     

    Quatuor pour la fin du temps (Louange à l'éternité de Jésus) Messiaen 1941

    Une traversée mouvementée

     

    Untitled, 1949, Rothko

    Description extraite du site du Musée des Beaux Arts de Lyon

    Untitled (Sans titre), 1949, est une œuvre caractéristique du style que Rothko développe de 1947 à la fin de sa vie. Mettant en œuvre une technique spécifique, il prépare et peint ses toiles avec beaucoup d'attention. Sur un fond jaune, Rothko a juxtaposé ici différentes plages de couleurs : vert, noir, violet, orange et jaune qu'il superpose à d'autres plages colorées.

    Ces plages sont appliquées selon la technique du glacis , soit une couche de peinture à l'huile presque transparente, qu'il faut superposer de nombreuses fois pour obtenir une teinte plus ou moins intense. En variant les effets, les textures, les dégradés et la densité des couleurs, en expérimentant des degrés de transparence, Rothko joue avec leur luminosité. 

     

     

     

    Une traversée mouvementée

    Canoe Lake Peter Doig 

    1997, 200X300

     

    La défragmentation du langage jusqu'au silence ou à la monochromie est nettement visible au XXès, que l'on pense à Webern,  à Beckett ou à Malevitch (Carré blanc sur fond blanc). 

     

    Timbres / Couleurs : la barque solaire part à la recherche d'alliages sonores miroitants (effets de transparence et de profondeur comme chez Rothko ou après Peter Doigt)

    Un espace large et lumineux dès l'entrée des percussions graves avec des halos lumineux aux vents qui répondent dans les aigües 

     

    Turangalila symphonie 1948

     

     

    Structure et langage : l'art d'improviser (comme Beethoven ou Liszt) se ressent dans une écriture libre mais avec un principe de répétition de formules dès qu'elles semblent exploitables

    des motifs mélodiques à peine perceptibles (abstraits) mais tous ascendants ou alors mouvements descendants comme en plongée dans l'eau 

    Une Introduction et une Coda très mouvementées 

    3 grandes parties qui pourraient se dégager en rapport avec les énergies rythmiques

    De l'introduction mouvementée à l'accelerendo après 5'15

    des motifs comme des flammèches (woodblocks, fouet, ponctuation des cuivres)

    des questions réponses aux cordes et cuivres

    profondeur de la "walking bass" aux cordes vers 4'20

     

    6'10 le temps est suspendu comme pour un Adagio 

    Mystère soudain, l'orgue avance prudemment dans les hauteurs (motifs qui montent), comme sur une voûte céleste

    nimbé par quelques touches de douceur au célesta (effets de transparence comme les touches de blanc se mêlent au jaune et aux verts du tableau de Doig)

    les tremolos s'échangent entre les cordes comme des nuées vaporeuses au-dessus de pizzicatos continus qui dessinent une ligne sinueuse mais horizontale

    puis montées des vents

     

    L'atmosphère mystérieuse de l"adagio" devient angoissante 

    cordes graves et aigües qui montent en enflant le son tandis que le tempo se resserre (accélère)

    (une vague ressemblance avec les cordes agressives de la musique de Hermann pour Psychose?)

    quelques cloches tubulaires jusqu'aux tremolos des cuivres pour flooter et embrumer la texture sonore :

    Arrivée sur des altos inquiétants (9'54) (2 notes chromatiques répétées) et violoncelles qui répondent de manière tendue 

    Le temps s'accélère on se rapproche...

    Stop avec reprise du motif des altos par l'orgue et cluster stridents et appuyés des cordes

    (cf cluster stridents de Thrène à la mémoire des victimes d'Hiroshima, Penderecki)

     

     

     

    Conclusion

    L’expérience du XXe s tendrait à conforter l’idée romantique selon laquelle la musique peut aspirer à une véritable dimension sacrée 

     

     

    La spiritualité sera une recherche de nouveaux chemins formels 

     

    *En France, Johann Paul Friedrich Richter (XVIIIès.) est notamment popularisé par Le songe, traduction approximative faite par  de Staël du Discours du Christ mort extrait du Siebenkäs. Cette traduction trouve un écho chez nombre d'auteurs, de Victor Hugo à Ernest Renan et Leconte de Lisle. La traductrice ayant omis la fin du texte où le narrateur se réveille et se met à prier, Le Songe a été souvent interprété comme une profession d’athéisme, alors qu'il s'agit plutôt d'un « cauchemar athée ».Gérard de Nerva  s'est inspiré de ce même texte pour son poème Le Christ aux oliviers, paru dans L'Artiste le 31 mars 1844.)

     

     

     


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