-
Le Coq d'Or, RK 1907
Quels éléments de composition musicale et de composition scénique peuvent permettre à un opéra centenaire comme le Coq d'Or de résonner avec actualité et fasciner encore le public ?
aujourd'hui en mai 2021 dans la nouvelle production de l'Opéra de Lyon (et coproductions...)
Introduction avec différentes pistes comme question
On peut s'interroger sur l'art spécifique du spectacle à l'opéra qui consiste à prendre une partition et un livret anciens et à leur redonner vie avec toute la force des technologies et esthétiques actuelles.
Question de l'art par rapport au temps et à sa pertinence humaniste.
L'opéra, comme un divertissement exigeant ? Plus on s'interroge sur les codes liés à une oeuvre en amont, plus on prend du plaisir
(plaisir des 5 sens) ? Cf Brueghel, Rubens, Allégories des 5 sens
L'ouïe, huile sur panneau, 65cmX100cm, Musée du Prado, 1617
Comment immerger le spectateur tête et corps dans le spectacle de l'opéra ?
"L'art est long et le temps est court" disait Goethe
Production filmée en 1989 au théâtre du Bolchoï (Moscou)
Evgueni Svletanov direction, Georgy Ansimov mise en scène, Marina Sokolova ...
15'... environ : Leitmotiv du coq d'or
17'... crescendo suspense et invocation "kiri kiri ko kou" "Règne et dors en paix" chante le coq magique !
45'... le roi Dodon s'apprête à partir au combat (fin de l'acte 1)
49'30 début de l'acte 2
52' complainte du roi face à la découverte de ses fils morts
55'...la puissance féminine en action
59'35 : un sommet sportif !
1::33' départ du cortège vers la capitale...Pendant que les esclaves de la Reine se moquent du vieillard grotesque (« Tsar
par le rang et le costume, mais esclave dans l'âme »), le cortège solennel se met en route
1:45'56 cortège...
1:47,55 Soudain ! la reine de Chemakha aperçoit la robe bleue de l'astrologue ...
1:53 : Dodon frappe à mort l'astrologue
1:54'40 Le coq tue le tsar d'un coup de bec
1:55'48 : le peuple se demande "Comment vivre sans tsar" ?
Un ensemble visuel dans la tradition des illustrations de la Russie ancienne dans l'opéra russe
Illustration d'Ivan Bilibine pour le conte du Coq d'Or, Image Gallica
1.L'opéra comme lieu, l'opéra comme genre, un patrimoine occidental toujours vivant malgré ses fantômes
a. Histoire brève du lieu à Lyon (de Chenavard à Jean Nouvel) un lifting architectural (1 muse en moins !)
b.La voix lyrique et sa perception (présentation des personnages et de leurs voix) la performance physique et vocale des chanteurs bien vivante
La voix sans micro, le chanteur sans texte, la puissance de l'interprétation comme matière vivante
Une puissance vocale de 100 décibels maximum ? (sachant que le bruit douloureux pour notre oreille d'un avion de décollage à réaction est de 125 db)
Le tsar Dodon, basse
Dimitry Ulyanov
"The Orthodox Singers" choeur d'hommes, Choirmaster: Georgiy Smirnov
un exemple de basse russe célèbre, Fédor Chaliapine dans la mort de Boris Godounov (livret d'après le drame d'Alexandre Pouchkine), un opéra de Moussorgsky (1874) réorchestré par Rimski Korsakov notamment . Enregistrement de 1827
(point parenthèse : Un disque phonographique est un support analogique de sons enregistrés. Sa forme la plus connue est, comme son nom l'indique, une galette plate et circulaire en matière synthétique. Un unique sillon en forme de spirale est creusé sur chaque face.
Le son est gravé simultanément en déviant légèrement le parcours du sillon par de petites modulations sinueuses latérales correspondant au signal sonore. Ces modulations sont réparties sur chacune des deux parois du sillon pour les disques stéréophoniques.
Le plateau motorisé du gramophone puis du tourne-disque entraîne le disque à une vitesse angulaire constante. Dans le sillon, on pose une aiguille ou un diamant relié mécaniquement à une tête piézoélectrique ou électromagnétique, fixée au bout d'un bras sur pivot. Cette tête restitue sous forme de signal électrique, les modulations, éventuellement amplifiées ensuite.
L'enregistrement analogique sur disque constitua la technologie la plus répandue de l'enregistrement du son durant le xxe siècle.)
Le tsarévitch Gvidon, ténor
Le tsarévitch Aphron, baryton
Le général Polkan, basse
Amelfa, l’intendante, contralto
L’Astrologue, ténor-altino
La reine de Chemakha, soprano
(le pouvoir féminin en action bien mis en valeur par le livret et la musique)
Sabine Devieilhe
La voix du Coq d’or, soprano
Anna Denisova
Choeur : Boyards avec femmes et enfants, Guerriers, Messagers, le Peuple, la suite de la
reine de Chemakha (choeur mixte)
Orchestre et Choeurs de l'Opéra de Lyon
Production de l'opéra de la Monnaie, Bruxelles, 2017
c.la musique orchestrale chatoyante (nomenclature de l'orchestre subtile/ cf traité de composition de RK/ cf Shéhérazade, Antar...), une tradition symphonique intemporelle qui renvoie aujourd'hui au son du cinéma / La suite du Coq d'Or
Composition de l’orchestre
Flûte piccolo
2 flûtes
2 hautbois
Cor anglais
2 clarinettes
Clarinette basse
2 bassons
Contrebasson
4 cors
2 trompettes
Petite trompette en Fa
3 trombones
Tuba
Timbales
Triangle
Tambourin
Tambour
Verghe
Cymbales
Grosse caisse
Xylophone
Campanelli
Célesta
2 harpes
Cordes
Les couleurs de l'Orient (un opéra en russe surtitré en français, des mélismes et mélodies aux consonances orientales)
Le Coq d'Or, suite, R-K, Ahmed Farag direction, Orchestre symphonique du Caire, 2017
mais avec l'aspect vivant du spectacle si nécessaire depuis les différents confinements récents
(cf salle de théâtre lieu de vie et de partage humain qui remplace le temple / cf Bayreuth lieu sacré de l'opéra (finies les bougies, place à la salle obscure pour respecter en silence le spectacle d'art total)
2.Une histoire intemporelle et universelle : l'argument de la fable
"Depuis le fond de son lit, le tsar Dodon rêve de retraite. Problème : on ne cesse de
l'envahir. Son astrologue lui offre alors un coq d'or aux pouvoirs magiques, girouette
capable d'indiquer la provenance du danger. Il viendra de l'Est en la personne d'une
charmante princesse orientale bien décidée à conquérir son royaume."
Argument
in Notice de Xavier Lacavalerie (in Bertrand Dermoncourt (dir.), L’Univers
de l’opéra, Paris, Laffont, 2012)
L'action se déroule dans le royaume imaginaire de Dodon.
Acte I. Après un bref prélude dans lequel l'Astrologue promet au public d'évoquer par son
art un conte ancien, le rideau se lève sur la cour du roi Dodon. Le souverain est ennuyé,
car ses voisins ne songent qu'à envahir son royaume et lui n'a plus trop envie de faire la
guerre. Afin d'éloigner ses soucis, l'Astrologue lui a offert un Coq d'or, un oiseau magique
qui veillera à sa place. Rasséréné, le souverain s'endort voluptueusement, mais le volatile
pousse bientôt un cri d'alarme : les ennemis arrivent ! Pressé par son peuple, Dodon est
contraint de partir au combat.
Acte II. C'est la débâcle. L'armée de Dodon est anéantie.
Le souverain erre dans le brouillard parmi les cadavres quand il aperçoit une tente : c'est
celle de la capricieuse et tyrannique reine de Chemakha, un rien nymphomane, qui
entreprend de le séduire. Dodon, ébloui, lui offre sa main, ses biens, son trône, son
royaume et l'accompagne au son d'une marche grotesque.
Acte III. Dans la capitale du
royaume de Dodon, les événements se précipitent : la foule est en liesse à l'idée de la
noce, mais l'Astrologue réclame au roi sa nouvelle fiancée en échange du fameux Coq d'or
qu'il lui a offert. Dodon refuse et lui fracasse le crâne d'un coup de sceptre. Le ciel
s'assombrit, le tonnerre gronde. Le Coq prend son envol et tue le roi, au grand dam de
son peuple qui se lamente et pleure son souverain. Mais qu'on se rassure : tout cela n'est
qu'un conte pour enfants...
mais une satire de son temps (un livret d'après le conte de Pouchkine au pouvoir subversif// littérature subversive ...Dodon comme Don Quichotte )
"Je compte ridiculiser Dodon définitivement" avait écrit Rimski-Korsakov en juillet 1907 alors qu'il termine la composition de son opéra.
Extrait d'un article de Diapason (magazine de critique musicale consacré à la musique dite classique et la HI-FI, créé par un disquaire d'Angers dès 1952)
Article de Loïc Chahine / Le 07 oct 2020 à 08h31 mis à jour 11 déc 2020 à 17h26
https://www.diapasonmag.fr/a-la-une/un-autre-7-octobre-1909-la-creation-du-dernier-opera-de-rimski-korsakov-31214
Le 9 janvier 1905, une manifestation populaire est réprimée dans le sang à Saint-Pétersbourg. C'est le début de la Révolution de 1905. Au terme de plusieurs mois de lutte et de négociations, une relative libération s'opère, suivie progressivement d'un retour à « l'ordre ». Pas question, par exemple, de laisser la revue satirique Joupel caricaturer impunément le tsar : trois numéros (de décembre 1905 à janvier 1906), et la voici censurée ! Y participait un grand nom de l'illustration, Ivan Bilibine (1876-1942). D'après certains spécialistes, c'est au lendemain de la suppression de la revue que le dessinateur entreprend les premières esquisses autour du Conte du Coq d'or. Comme pour Pouchkine, il pourrait donc s'agir d'une réaction à la censure tsariste.
De son côté, Rimski-Korsakov, âgé de soixante ans au début de l'année 1905, est professeur au Conservatoire de Saint-Pétersbourg. Soutien des étudiants révolutionnaires, il est menacé de sanctions par la direction, mais se défend énergiquement et parvient à faire renvoyer le directeur de l'institution. Victoire de courte durée : en mars, peu après ses soixante et un ans, le compositeur est lui-même révoqué de ses fonctions au Conservatoire. Il reçoit de nombreux soutiens, et cinq professeurs démissionnent pour lui exprimer le leur — parmi lesquels Glazounov et Liadov.
En réaction aux évènements révolutionnaires et surtout à leur répression, Rimski-Korsakov avait d'abord pensé écrire un opéra sur Stenka Razine (1630-1671), ce cosaque resté dans les mémoires pour avoir mené un soulèvement contre la noblesse et la bureaucratie tsariste. Mais d'après Rosamund Bartlett, spécialiste de la culture russe, en voyant les illustrations de Bilibine, le compositeur se serait convaincu de consacrer son dernier opéra au Coq d'or. Il notera sur la page de garde de sa partition, comme en exergue, une phrase extraite d'une autre de ses œuvres, La Nuit de mai (d'après Gogol) : « Une bien belle chanson, compère. Dommage seulement que le chef y soit qualifié en termes quelque peu irrévérencieux. »
Revoici la censure !
Comme pour l'opus tout juste achevé, La Légende de la ville invisible de Kitège, il fait appel pour le livret à Vladimir Bielski, mais intervient lui-même beaucoup dans son élaboration : « de la correspondance entre Rimski-Korsakov et Bielski », écrit André Lischke, « il ressort également que c'est bien le compositeur qui avait les exigences les plus radicales envers les termes du livret » (L'Avant-Scène Opéra, no 211). Charge ensuite au librettiste « d'arrondir quelques angles ». En vain : l'opéra ne passe pas la censure, qui a bien saisi que le conte de Pouchkine servait de support à « une satire contre le régime tsariste » (A. Lischke), l'échec militaire du belliqueux guerrier en Orient se trouvant même faire allusion à « la désastreuse guerre russo-japonaise » !
Quoi qu'il en soit, Rimski-Korsakov refuse les modifications excessives que réclamait la censure. Le 21 juin 1908, il succombe à une maladie cardiaque. Son Coq d'or, chef-d'œuvre d'humour grinçant autant que de science orchestrale, sera créé à titre posthume dans une version édulcorée plus d'un an après, le 7 octobre 1909."
le contexte de composition et la censure tsariste avant la révolution russe de 1917 correspond à une histoire ancienne mais...
Même sans connaître le contexte de composition du Coq d'Or, on peut associer les personnages à des personnages de pouvoir actuels (voire toute la mythologie médiatique créee autour du personnage de Poutine... exemple d'article à ce sujet :
- Véra Nikolski, La légitimation du rôle présidentiel de Vladimir Poutine, Dispositif médiatique et fabrication de l'image du « bon tsar »,
- Dans Réseaux 2010/6 (n° 164), pages 197 à 224, https://www.cairn.info/revue-reseaux-2010-6-page-197.htm
3.Le pouvoir actualisant des arts visuels : décor, costumes et mise en scène
L'affiche qui interroge
Les décors et costumes
La mise en scène
Interview de Barrie Kosky, metteur en scène
Conclusion :
Vivement mercredi 26 mai ! le retour à l'opéra et le principe de plaisirs en art, plaisir démultiplié pour un art total
Plaisir de redécouvrir tout un patrimoine architectural et virtuel, mais de le voir vivre sous la main d'artistes bien vivants
depuis le directeur et son équipe proche qui conçoivent les programmes et font vivre la grande maison qu'est l'opéra, les régisseurs lumières et sons, ouvreurs, costumiers, décorateurs, service administratif et billetterie en passant par la main des metteurs en scène et chef d'orchestre pour arriver au devant de la scène sous les projecteurs avec les artistes chanteurs et musiciens qui font littéralement vibrer la salle et le coeur des spectateurs avec la puissance expressive de leurs sons !
Une coproduction avec le Festival d'Aix en Provence, le Komische Oper de Berlin ((((et le Festival des arts d'Adélaïde (Australie))))
Images tirées de la présentation de l'opéra pour la création scénique à l'opéra de Lyon en mai 2021
(Présentation du dossier pédagogique par Fabrice Malkani)