• 2.Chair musicale et mouvements de caméra

     

    2.Chair musicale et mouvements de caméra

    (Suite de l'étude de la scène de Don Juan entraîné aux Enfers dans le film Opéra Don Giovanni de Losey/Mozart et Atelier)

     

     

    (Séance 3) : Don Giovanni filmé en Vénétie / Rappel et suite de l'enquête sur le combat du désir charnel et spirituel à l'oeuvre dans Don Giovanni, Opéra film de Losey et Mozart

     

     

     

     

     

    Dans les deux séances précédentes, nous avons commencé d'étudier les influences italiennes et la question de la dualité chair/âme ou tête/corps ou encore cadre et liberté, à travers un extrait d'opéra filmé; la scène de la mort de Don Giovanni dans l'opéra éponyme de Mozart.  

     

    Rappel du plan global 

     

     

     

    Nous avons commencé par proposer un rappel du mythe occidental de Don Juan, tel qu'il nous est parvenu sous la première plume connue d'un chantre de l'inquisition espagnole; Tirso de Molina vers 1630, sans oublier la version française de Molière en 1665, qui met en valeur la scène grandguignolesque finale avec la statue colossale du commandeur revenu du monde des morts.

    C'est Lorenzo da Ponte, un aventurier et auteur italien, qui condensera le mythe de Don Juan en deux actes en 1787. Avec l'aide suggérée de Casanova -libertin vénitien adulé par les grandes cours européennes du XVIIIès-, Da Ponte souligne les contrastes entre le drame de la fuite éperdue de Don Juan jusqu'aux enfers qui l'attendent, et le contraste avec les interventions comiques de son alter ego Leporello. En symbiose avec Mozart, il qualifie cet opéra des opéras de "Dramma giocoso" (drame joyeux). 

     

    Le livret de Don Giovanni commence et termine avec le duel entre l'homme libre et sans aucune limite et l'homme garant de l'ordre social et moral; le commandeur, qui veut venger l'honneur de sa fille outragée, Donna Anna. Si Don Juan est envoyé en Enfer il reste digne jusqu'au bout dans la version écrite. La musique de Mozart rend-elle ces contrastes propres au "dramma giocoso" ? La caméra et la mise en scène de Losey mettent-elles également en avant ces jeux de contraste ou proposent-elles une autre lecture ? 

    Avant d'analyser les mouvements de caméra, mises en scène et mises en sons du livret, les élèves ont lu et interprété l'extrait étudié à partir du livret, puis ils se sont réunis en petits comités pour proposer leur propre version sonore et visuelle d'une adaptation imaginée de la scène.  

     

     

    Atelier 

    Question d’un atelier pratique du jour pour s’approprier les questions analytiques 

    Sorte de laboratoire créatif et expérimental pour rentrer dans l’extrait vidéo 

    -En groupe (idéal 2 ou 3 / maxi 4) 

    1.Lire et interpréter le livret, s’enregistrer et envoyer au professeur (sur l’ent ou directement par drop mail) 

    2.Imaginez votre propre version de l’extrait et annoter votre feuille pour pouvoir présenter oralement vos propositions à vos camarades 

    Proposer des pistes pour une mise en musique du texte (quels instruments dominent et pourquoi ? registres des voix, personnages présents...mise en scène, mouvements de caméra...) 

     

    Nota bene : tous les styles et medium sont permis mais il faut chercher à mettre en avant la dualité entre des éléments cadrants et des éléments de surprise qui relèvent de l’instinct animal 

    Dualité chair/pierre liberté/cadre etc 

    les références d'oeuvres artistiques sont bienvenues et peuvent aider

     

     

     

    Présentation orale des ateliers  

     

    Zoé et Nino G.D.Friedrich Ruines au crépuscule/ angoisse de Leporello à mettre en valeur 

    Symphonie du nouveau monde 

     

    Lina, Anita et Violette

    DJ des tps modernes : ahe hop 

    We can fly 

    Angoissant 

    Rallye 

     

    Alexandre et Joseph

    Musique de fond façon jazz 

    Band avec qlqs cuivres 

    Statue sans batterie 

    Synthé pour les émotions de Leporello

    Guitare électrique et cuivres 

     

    Molly et Lilou 

    Décor minimaliste sombre avec une seule lumière

     

    Josephine clémence Fatima 

    Souffle glacial  pour la statue 

    Sauf 1 bougie Ds un musée couloir avec de nbses statues  

     

    d'autres élèves et propositions à suivre...

     

     

     

    2. Chair musicale et mouvements de caméra pour la mort de Don Juan

    Du texte du livret au rythme de plus en plus resserré, Mozart n'a eu qu'un geste pour habiller les paroles avec sa musique.

     

    a.Portraits des personnages -statue, Leporello et Don Giovanni- en pleine action / et action de la caméra

    Quand une scène d'opéra se pétrifie...jusqu'à la descente aux enfers.

     

    La scène de la damnation de Don Juan est la grande scène de l'opéra et doit marquer les esprits émotifs. Tous les effets cinématographiques sont essentiels, tant dans la bande son que dans les lumières, décors et mouvements de caméra. Losey veut-il davantage marquer la rigidité d'une morale austère dans cette scène ? Ne cherche-t'il pas à effacer les contrastes de caractère pour ne garder que la majesté classique et rigide comme la pierre du commandeur ? apportés par le personnage comique de Leporello qui s'entend dans le trio musical, du moins qui s'entend par une oreille avertie ?

    La statue du commandeur pourrait être inspirée par le personnage de Scipion dans la fresque de Zelotti (1565) à la villa Emo de Fanzolo

     

    DG filmé en Vénétie/rappel 3 et mise en mouvements sonores et visuels du texte

     

    Palladio, villa Emo de Fanzolo

     

    (Villa de Palladio -à 65 km de Venise- qui associe architecture solennelle avec ses colonnes qui rappellent l'antiquité et l'art de travailler avec la nature avec les bâtiments agricoles)

    Avec sa voix de basse, le commandeur symbolise ici la morale chrétienne, la parole divine du jugement dernier. C'est un personnage fantastique, statue revenue du monde des morts. Il apparaît en plan large avec caméra fixe dès le début de la scène en fond sombre pour marquer la profondeur des ténèbres et les jeux de clair obscur. Deux colonnes de l'extérieur assoient son autorité en renvoyant à l'architecture antique et classique de la villa Rotonda.

     

     Palladio, La villa Rotonda

     

    Nulle place pour les ornements galants et les couleurs vives. Morale solennelle et implacable. Elle s'entend dans la musique.

    Deux accords frappent à la porte (7ème diminuée puis 7è de dominante de Rém) les deux accords d'ouverture de l'opéra (tonalité du Requiem de 1791, messe des morts).

     

    Partition de la scène de la statue/ Don Giovanni, a cenar teco

     

    Notes longues et rythmes carrés avec intervalles aux harmonies fondamentales pour marquer la solennité du discours autoritaire de la statue : tonique, tierce, quinte et octave : exemple d f d a a : a cenar teco.... = blocs de notes sous ascendant vertical/ voix comme pétrifiée sous une écriture harmonique. Les plans fixes participent à cette sensation de pétrification. Les mouvements de Don Juan se ralentissent. Le serviteur lui-même se retrouve figé sur un plan taille avec une caméra fixe et son regard au sol (2'58 qui correspond environ au 9è plan alors qu'on n'est pas à la moitié de la scène qui dure 7'41 dans cette version).

    Il semblerait que le regard du réalisateur mette l'accent sur le caractère solennel de la scène, caractère marqué dans la musique aussi, même si l'écriture de Mozart suggère des mouvements rythmiques et mélodiques plus fluides. Les mouvements mélodiques qui accompagnent les voix suggèrent l'esprit galant de Don Juan et la vitesse d'élocution ainsi que les phrasés rythmiques suggèrent la peur de Leporello et sont présents de manière subtile dans l'écriture de Mozart, mais la caméra et la mise en scène semblent davantage mettre en valeur l'équilibre solennel d'une architecture classique. Les plans fixes ou les zooms très lents accompagnent le décor austère et marqué par la pierre. Les costumes des personnages semblent être dessinés en trompe l'oeil aussi. La nature morte à l'état de ruines apparaît harmonieuse dans le décor également. Les tons naturels dominent, sans excès de couleurs. Les teintes de jaune sienne, bruns

    appel avec le rythme pointé solennel et comme un défi : Don Giovanni

    Rythme repris dans l'accompagnement qui sonne comme une marche funèbre : noire pointée/croche répétées avec basse descendante

    Don Juan a une voix de baryton et une ligne vocale mélodique qui oscille entre la verticalité rigide de la statue et les mélodies conjointes et affolées de son valet. Le libertin résiste jusqu'au bout malgré le cri poussé quand il est aspiré en Enfer auquel lui fait écho le cri de Leporello

    le contrechant comique de Leporello avec ses triolets apeurés et l'accompagnement des cordes essoufflées (quart de soupir/3 doucles croches) renforcent la grandeur démesurée et fantastique du commandeur, effet de contraste dramatique propre au grand théâtre shakespearien mais qui ressort peu au niveau visuel et sonore dans cette version. En proposant un travelling latéral avant au moment où Leporello émerge de dessous la table avec ses triolets apeurés, c'est le malaise qui prend le spectateur, plus qu'un sentiment de bouffonnerie qui pourrait alléger l'ensemble.

    Après le châtiment annoncé par le commandeur sur des rondes longues accompagnées à l'unisson par l'orchestre comme un cantus firmus sans contrepoint, le mouvement général s'accélère et d'Andante, passe à Allegro. Le choeur infernal invisible sur scène vient renforcer la tension crescendo de la scène extraordinaire avec l'enrichissement de l'accompagnement orchestral et les mouvements de gammes descendantes qui conduisent aux flammes infernales tandis que le trio vocal monte en tension; le commandeur de plus en plus autoritaire, Don Juan de plus en plus récalcitrant et Leporello de plus en plus apeuré.

    La scène effroyable finit sur le cri de damné de Don Juan entraîné aux enfers, avec l'effet d'écho de son valet. Un travelling avant a renforcé le malaise grandissant. Le combat de deux statues a fini par laisser l'autorité religieuse gagnante; car Don Juan est comme une statue pétrifiée par sa libido dans l'instant présent.

     

     

    b. L'ouverture de Don Giovanni, le pendant musical de la scène de la damnation

    Or, dès l'ouverture de l'opéra, les coups de poing de la statue qui semble frapper à la porte du destin de Don Juan sont clamés par l'orchestre de manière directe et impitoyable. Tout est dit. Le dramma giocoso va tendre davantage vers le dramma que vers le giocoso.

    Les couleurs sombres déjà présentes donnent le ton au film réalisé par Losey.

    Dans la carrure classique de l'ouverture, les thèmes mélodiques et rythmiques qui vont apparaître dans la scène des enfers sont déjà annoncés. C'est le propre d'une ouverture réussie, comme une introduction écrite après un plan détaillé. D'ailleurs l'anecdote de composition de cette introduction vient appuyer cette thèse.

    La veille de la première répétition de l'opéra, il ne manque plus que l'ouverture. Mozart s'installe avec son punch à sa table de travail tandis que Constance sa femme lui raconte deux trois contes pour le tenir éveillé. Il s'endort malgré tout. Elle le réveille vers 5h du matin. En deux heures il a composé cette ouverture marquée par le sceau de la scène de la mort de Don Juan (son propre père très autoritaire étant mort en mai de la même année). A 7h les copistes voient arriver la partition. Il leur reste deux heures pour copier chaque partie et les distribuer aux instrumentistes.

     

    Don Giovanni est la quintessence du génie mozartien, une sorte d’absolu du genre, où le haut et le bas de la nature humaine se côtoient, où flirtent le tragique et le grotesque, le sublime et le dérisoire, les élans spirituels et les plaisirs de la chair. Dans la lignée de la réforme de Glück sur l'opéra, la musique de Don Giovanni est au service de l'action et des effets théâtraux.

    20 ans auparavant, en 1767, dans sa préface pour son opéra Alceste, Glück avait dénoncé la surenchère de vocalise et de virtuosité gratuite qui pouvait rivaliser dans le genre de l'opera seria très populaire en Europe et dont les castrats étaient les vedettes en paillettes. Il prônait le retour à une forme de simplicité et de naturel que Mozart va réussir magistralement avec son Don Giovanni.

    La période musicale est au style galant également et l'écriture vive et bouillonnante du jeune viennois s'y prête particulièrement, surtout avec un sujet sur la galanterie comme celui de Don Juan. Cela n'empêche pas Mozart d'y ajouter des touches de contrepoint dont il a appris une partie avec le Padre Martini lors de ses voyages en Italie.

    Car Mozart aussi a fait son grand tour, tour d'Europe du Nord dès son plus jeune âge avec la découverte de l'opéra italien à Londres sous l'oreille avertie de Jean Chrétien Bach ainsi que le pianoforte (écrira 27 concertos pour piano). Jeune encore, il a pu faire plusieurs séjours en Italie dans les villes choisies par son père et pédagogue; Milan et Naples pour y entendre de l'opéra; Rome et Bologne -2è ville des états pontificaux au XVIIIè s.- pour y parfaire sa connaissance de la musique d'église. Milan commandera une mise en musique d'un opéra sur un sujet antique, Mitridate re di Ponto.

    A Rome, Mozart copie de mémoire le fameux miserere d'Allegri interprété à la Chapelle Sixtine les jours de la semaine sainte seulement et interdit de reproduction sous peine d'excommunication. A deux reprises Mozart peut l'entendre et copier sans peine ce morceau qui dure 15 minutes. Outre l'écoute des concerts et la lectures des partitions le plus souvent manuscrites, c'est auprès d'un grand savant du contrepoint de Bologne que le jeune compositeur autrichien s'essaiera à la fugue mais surtout au jeu des lignes mélodiques enchevêtrées. Car Mozart, malgré sa puissance phénoménale de travail, reste un grand joueur animé d'une grande vitalité. Sa prédilection en terme de composition reste pour l'opéra et les musiques de danses qu'il va pouvoir agrémenter de touches de contrepoint qui n'entraveront en rien l'énergie galante de son style naturel d'écriture d'abord harmonique et rythmique.

     

    L'exemple de la scène de la damnation de Don Juan

     

     

     

     

     

    b. L'ouverture musicale de Don Giovanni, le générique de l'opéra qui annonce la pétrification de Don Juan

     

    Partition de l'ouverture de Don Giovanni, Mozart, 1787

     

    Farinelli, Laschia chio piango, Rinaldo Haendel,

     

    Symphonie n°40 Mozart, Berliner Philharmoniker, Simon Rattle, 2013

     

    Padre Martini...

     

     

    Mitridate, re di ponto, Mozart,/ Harnoncourt, filmé au teatro olympico de Vincence

     

    Miserer, Allegri (vers 1'50... le saut de l'ange...)

     

    https://cognacq-jay.discmuseum.com/episode-1/

    puis "Eblouissante venise" au grand palais 2019

     


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